Le 2 février 1959, lorsque je pénètre dans l'atelier de reliure de la Bibliothèque de
Grenoble, je n'imagine pas encore que commence pour moi une relation passionnée
avec le monde du livre. Cinq ans d'apprentissage aux côtés de mon maître, et vingt ans
de travail au sein de l'atelier, me permettent d'acquérir une formation théorique solide
en histoire du livre et de l'art, en dessin…et une grande maîtrise technique en reliure,
dorure et restauration de livres anciens.
Ma passion me pousse à rencontrer les « grands » de la reliure et à apprendre d'autres
techniques comme la dorure sur tranches. L'un d'entre eux, Gilbert Bontaz, « MOF » en
reliure, m'initie à la reliure d'art et me pousse à m'inscrire au Concours « Un des Meilleurs
Ouvriers de France ». Médaille d'Argent en 1979, j'obtiens le titre en Dorure et Décor du
Livre en 1982 et deux ans plus tard je reprends l'atelier de « reliure d'art » de Gilbert Bontaz.
C'est dans ce lieu magique où le livre est roi que je traverse le temps, les civilisations et
les cultures en prenant soin de mes chers livres, leur rendant la vie ou les embellissant
afin qu'ils puissent continuer à apporter à ceux qui les parcourent le bonheur que j'ai
éprouvé en les « possédant » le temps de leur passage à l'atelier. Maître - artisan depuis
1991, « MOF » en reliure en 2000, j'éprouve maintenant la grande satisfaction de
pouvoir transmettre à des élèves passionnés le savoir-faire et l'esprit d'excellence, dans
l'espoir qu'ils puissent évoluer harmonieusement dans la vie et dans la pratique
quotidienne de leur profession.
L'histoire de la reliure appartient à l'histoire du livre : la production du premier écrit a
posé le problème de sa conservation mais très vite de protectrice la reliure devient
ornement et le livre enluminé du Moyen-Âge en est un bel exemple puisque orné
d'ivoire, de pierres et de métaux précieux, il devient pièce d'orfèvrerie.
L'utilisation du papier et la découverte de l'imprimerie suscitent un extraordinaire
engouement pour le livre. Dès la Renaissance, les bibliophiles ont à cœur d'enrichir leurs
bibliothèques de somptueux ouvrages et c'est grâce à eux que cet art atteindra son apogée
avec les splendides réalisations des grands maîtres de la reliure des XIX et XX siècles.
La reliure d'art répond à cette double fonction de protection et de mise en valeur d'un
ouvrage rare voire exceptionnel. Elle requiert une grande maîtrise technique, une
connaissance approfondie de l'histoire du livre, le sens artistique, la créativité et une
remise en cause permanente. Après s'être imprégné de l'atmosphère de l'œuvre; le
relieur choisit les techniques et les matériaux en fonction de l'ouvrage, du budget qui lui
est alloué et des goûts du bibliophile, puis met au point la maquette qui servira à la
réalisation d'une pièce unique.
Un double regard sur une œuvre…
Sur deux exemplaires du « Capitale de la Douleur » de Paul Éluard,
j'ai réalisé 2 reliures « grand luxe », dorées sur témoins, avec boîte-écrin :
la première en plein maroquin anthracite, avec dorure « aux petits fers »
évoque la douleur d'un amour trahi, la seconde en plein box bleu avec
mosaïque rouge sang et application de parcelles d'or évoque la force
créatrice de l'amour.(Photo : Éric Hurtado)